"Pendant que beaucoup de nos artistes continuent à découvrir l'Italie et l'Espagne, que les Américains explorent sans cesse Pont-Aven, que la peinture se fait de plus en plus touriste et cosmopolite – ce qu'il faudrait bien se garder de blàmer, si les œuvres dûes à ces ambitions voyageuses gagnaient en qualité profonde, - voici M. Louis Charlot qui reste fidèle à son Morvan. Il atteste ce pays l'un des plus pittoresques, l'un des plus émouvants de la France si variée, et il donne les preuves de sa préférence en une série de toiles assombries par les forêts, éclairées par les étangs, éclatantes de la lumière enflammée de l'été, silencieuses dans la brume et sous la neige de la dure saison.
Cette dure saison, le peintre la connaît particulièrement. Aux mois noirs de l'hiver, pendant qu'ici les boulevards étincellent, que se déroule la fête des théâtres et des soirées, il vit dans sa petite maison, sur un des plateaux des sauvages montagnes où le vent souffle la pluie ruisselle, où la neige tombe. En même temps qu'il lutte contre les difficultés de l’art, il est en bataille contre les éléments, il lui faut amarrer son chevalet, résister au froid qui le gagne, qui lui ferait tomber ses pinceaux et sa palette des mains, si la fièvre de voir et de comprendre n'était la plus forte.
Ces tableaux où la neige s'agglomère sur les toits des maisons basses, sur les jardinets, sur la route, sur les sentiers, sur les pierres, sont tout à fait caractéristiques du talent et de la sensibilité de M. Louis Charlot. Je me figure la vie tenace et ardente qu'il peut vivre au creux de cette neige, quelles sensations il peut éprouver lorsqu'il passe le seuil de sa maisonnette, qu'il reçoit au visage le cinglement de la grêle, la violence du vent, et qu'il voit tourbillonner âprement, ou mollement tomber, les flocons blancs qui vont tout à l'heure ensevelir le paysage tout proche, et l'horizon, et la vie entière. Je m’imagine de même sa rentrée, auprès de son feu, alors qu'il regarde ses toiles, qu'il compare son effort à la beauté de cette terrible immensité qui se déploie autour de lui.
Il y a de quoi le rendre modeste, mais orgueilleux aussi, et c'est avec ce sentiment qu'il faut regarder ces paysages de neige, ces ciels désolés, fermés à la lumière, ces escarpements d'où l'on découvre un pays mort, ce village qui tressaille sous son suaire. On connaît alors que l'humble labeur de l'homme devant la nature a sa grandeur, on respire l'air froid qui circule ici autour des choses, on se plaît devant ces arbres poudrés en panaches funèbres, ces logis de paysans dont la cheminée fume dans l'air glacial, tout ce Morvan déroulé aux pentes, cette région blanche, silencieuse, sinistre.
M. Louis Charlot n'a pas seulement peint ces aspects d'hiver du plateau qu'il habite, il s'est réjoui de la belle saison, il s'est plu à disposer des fleurs et des fruits parmi des étoffes, et quoique ses verdures et ses arrangements relèvent trop, comme d'ailleurs presque toute la jeune peinture d'aujourd'hui, de la vision de Cézanne, on appréciera et on aimera les qualités de peinture et de goût dont il fait toujours preuve. Mais il me semble, je suis même sûr, qu'il est plus lui même, qu'il est plus seul, avec sa pensée et son émotion, lorsqu'il est assailli par la bourrasque et bloqué par les neiges, et qu'il protège, contre les vents qui bouleversent l'espace, la petite flamme pure et vive de son art.
Recommended Citation:
"Exposition Louis Charlot." In Database of Modern Exhibitions (DoME). European Paintings and Drawings 1905-1915.
Last modified Oct 28, 2019. https://exhibitions.univie.ac.at/exhibition/829