Opening Hours
monday - saturday: 10am - 6pm
Catalogue
Preface
Denis, Maurice: Henri-Edmond Cross, 5 p.
"Des jaunes pâlissent parmi des orangés, deviennent plus clairs, contrariés vers le bas de la composition par deux lignes noires d’outremer ; vers le haut, ils se dorent et s’exaltent au contact d’un bleu de fond, se fortifient d’orangés vifs, passent au rouge, - un rouge sombre où des verts émeraude noircissent et qui lutte, en un point essentiel, sur un semis de rose et de vert avec un blanc presque pur : nette dissonance, autour de quoi tout chante et tout vibre dans les plus chaudes harmonies ; ah ! que j’aime ce tableau de Cross qui représente un homme nu sous le soleil de Provence !
Et voici une sombre entrée de jardin. Il fait une chaleur accablante : les lumières qu’on aperçoit dans le fond du tableau évoquent la pesanteur de midi. Mais le sujet est dans l’ombre : c’est tout ce qui se passe à l’abri du jour cru, le conflit des rouges sombres avec les verts profonds, et les verts vont jusqu’au bleu et le passage des violets est heureusement esquivé, parce qu’il détonnerait dans cette gamme majeure ; et les verts rejoignent, en un contraste seulement de teintes, les rouges pourtant intenses qui claironnent aux géraniums et s’assourdissent aux troncs d’arbres.
Ailleurs, la monochromie d’un vert pâli de jaune, et qui signifie de fertiles cultures et des vignes, se relève de fortes dissonances où les laques, l’émeraude, l’outremer, la garance indiquent une ample frondaison, une treille, des figures occupées aux travaux des champs, ou bien encore le profil du cap Nègre, mosaïque de taillis symétriques et multicolores : splendide aspect d’une campagne du Midi, composé à souhait pour le plaisir des yeux.
Couleurs avant tout, couleurs telles que les marchands les vendent en tubes, couleurs de la gamme diatonique de Chevreul et qui cependant, par des mélanges parcimonieux de blanc et des oppositions savantes, arrivent à constituer des gammes variées : tapisseries où les formes et les silhouettes se balancent, s’enchevêtrent ou se contrarient, selon des rythmes rares. Mais c’est toujours le conflit de l’ombre froide et du soleil, les éclats et les vicissitudes de la lumière, que la volonté de Cross résume en des synthèses colorées.
Il disposait naguère les tons et les fragments de tons comme des soldats en bataille, petites unités blanches qu’il revêtait après coup, en glacis, d’uniformes de couleur variés selon le rôle de chaque élément, assignant à chacun son champ d’action, calculant d’avance les résistances, les réactions, les sacrifices à faire, supputant les qualités et les quantités des forces engagées, selon la théorie néo-impressionniste. De ces trop subtiles méthodes, où le romantisme d’un Signac trouve son appui et sa solidité, Cross a conservé le goût des accords de tons purs, non salis, et une science certaine des timbres et de l’orchestration.
Il y a vingt ans qu’avec plus de passion qu’aucun de nous, Cross s’essaye à créer du soleil. Il en vient maintenant, ayant beaucoup regardé, beaucoup réfléchi, multiplié les expériences, ayant été jusqu’au bout des théories, il en vient à substituer de plus en plus les jeux de la couleur aux jeux de la lumière. Sans doute, comme la plus jeune école d’à présent, il ne recule devant aucune crudité d’éclairage ; et j’aimerais que ses modulations fussent plus préparées et qu’un certain chromatisme à la Cézanne vînt tempérer plus souvent de trop éblouissants contrastes.
Mais, outre que ce chromatisme existe dans quelques-unes des œuvres ici exposées, il est très évident que Cross a sur tous les jeunes novateurs l’avantage d’une science considérable, et que, loin de chercher d’aveuglantes et hasardeuses traductions de l’impitoyable soleil, il s’efforce d’imaginer des harmonies équivalentes, et d’instituer, avec la logique de ses moyens, le Style de la couleur pure.
J’ai découvert, disait Cézanne, que le soleil est une chose qu’on ne peut pas reproduire, mais qu’on peut représenter. Cross a pris, comme les anciens maîtres, le parti de représenter le soleil non pas par la décoloration, mais par l’exaltation des teintes et la franchise des oppositions.
S’il évite les gris, ce n’est pas seulement parce qu’il renonce au mélange optique (c’est-à-dire à juxtaposer dans la même tache de lumière ou d’ombre les touches de ton local et les touches d’orangé solaire ou de ses réactions) ; - mais c’est surtout parce qu’il préfère donner plutôt une sensation de couleur harmonieuse qu’une sensation de luminosité intense.
Et, par exemple, sur une figure nue en plein soleil, l’ombre d’un arbre ne se mélangera plus du ton de chair de cette figure, mais il sera résolument bleu ou vert ou orangé, etc , suivant que l’une de ces couleurs sera perçue subjectivement comme dominante.
Le soleil n’est plus pour lui un phénomène d’éclairage qui décolore et qui blanchit tout, mais un foyer d’harmonie qui réchauffe les couleurs de la nature, autorise les gammes les plus montées et fournit un motif à toutes les fantaisies de la couleur. Le tempérament de Cross y trouve le prétexte aux développements de la plus riche sensibilité, un thème inépuisable où se déploient les ressources de son imagination.
La comparaison entre les œuvres récentes et quelques paysages de Venise de date plus ancienne fait bien comprendre en quel sens s’effectue l’évolution de Cross. Il est moins littéral et plus sonore ; mais aussi il est plus construit. Tandis que Signac passe du naturalisme scientifique à une sorte de romantisme raisonné, Cross, délivré de la plupart de ses scrupules d’impressionniste, s’achemine vers une conception classique de l’œuvre d’art. Les rythmes de ses paysages ont un équilibre, une solennité dans le balancement des masses qui font songer, je le dis sans paradoxe, à des inventions de Claude Lorrain. Les mythologies de l’an passé aux Indépendants et la Clairière de cette exposition-ci montrent des recherches de simplicité et d’architecture analogues dans la figure à celles qui donnent à ses paysages une beauté si générale, et de la grandeur. Le fidèle respect qu’il a de la nature, la sincérité de sa vision subsistent d’ailleurs, comme chez les classiques, au-dessous de ce travail de construction décorative. On trouve le même accent de vérité à des œuvres plus expressives et mieux organisées.
Ainsi en même temps que ses traductions sont plus libres et plus colorées, la manière de Cross s’élargit et se simplifie. Son art devient de plus un art de synthèse et d’imagination. Le théoricien, le technicien expert que déjà nous admirions, laisse mieux apercevoir dans les toiles que voici, réfléchies et voulues, les dons du peintre et les dons du poète.
***
Au détour du chemin qui suit la mer, quand on vient du Lavandou, on découvre d’abord une pittoresque cabane que Cazin, je crois, appela la Maison de Socrate. Au-delà s’aperçoivent quelques toits de tuiles à travers les pins. C’est Saint-Clair. Des hauteurs roses, dressées en amphithéâtre, face à la mer, l’enserrent étroitement, en font un lieu isolé du reste du monde.
La maison de Cross est là parmi les arbres et les fleurs. Il vous accueille avec son bon sourire et ses yeux d’un bleu très doux ; et tout son visage est grave et recueilli comme celui d’un contemplatif, d’un saint François rythmant le Cantique des Créateurs et chantant
Spécialement messer le frère Soleil,
Lequel nous donne le jour et nous illume,
Et il est beau et rayonnant d’une grande splendeur.
Dans ses yeux pâles d’homme du Nord, tout le lumineux Midi étincelle : son regard en conserve les reflets, et son œuvre en perpétue l’éclat pailleté et l’émotion.
MAURICE DENIS"
Catalogue Structure
Preface "Henri-Edmond Cross", 5 p.
"Catalogue", cat. no. 1-85, 6 p.
-"Cote Provençale", cat. no. 1-21, 2 p.
-"Ombres et Reflets", cat. no. 22-34, 1 p.
-"Aquarelles", cat. no. 35-85, 3 p.