Exposition Camille Pissarro

except sundays

Holding Institution: Bibliothèque des Arts Décoratifs

LECOMTE, Georges: Camille Pissarro, 6p.

"Camille Pissarro

Pour inaugurer sa galerie où la beauté moderne sera passionnément et intelligemment soutenue, M. Eugène BLOT ne pouvait faire une exposition plus noblement révélatrice de l’effort qu’il se propose de tenter.

Soucieux de défendre l’art de lumière, de vie et de vérité, les radieuses interprétations décoratives de la nature et les subtiles féeries de l’atmosphère, il trouve en l’œuvre de Camille PISARRO, vieux maître ravi trop jeune à notre admiration, le merveilleux résumé de toutes ces recherches. En parant ses murs de belles toiles expressives, sincères et lumineuses, c’est un magnifique drapeau qu’il y déploie pour bien caractériser ses tendances.

Héritier des maîtres de 1830 qu’il connut et qu’il aima, Camille PISSARRO, inspiré par leurs loyales études de la campagne, du ciel et de la vie agreste, leurs interprétations du réel sous les prestiges de la lumière.

Sa vision douce et fine, son sentiment délicat des grâces de la nature, la calme et presque candide simplicité de ses évocations, l’apparentent à Corot. De ce grand peintre qui savait être, par les seuls moyens plastiques, à force de vérité et d’émotion, un si délicieux poète, il avait le goût du vrai. Le sens des valeurs et des harmonies limpides, le souci des lumineux enveloppements et des transparentes atmosphères, enfin le charme de cette sérénité souriante qui nous séduit dans presque toutes les œuvres de ces deux maîtres. On y perçoit le recueillement joyeux dans l’intimité de la nature, la pureté d’âmes douces qui trouvent le bonheur dans le travail et la vie paisible.

De même que cette fraîche sérénité rayonnait sur le visage et dans les toiles de Corot, de même elle illuminait le beau regard souriant de Camille PISSARRO et ses adorables compositions où la poésie de la Terre à toutes les saisons, la beauté du labeur humain au milieu des bêtes, des arbres et des récoltes, sont traduites avec une dévotion si fervente et si simple.

Dans le paysage moderne peut-être n’y a-t-il pas de peintre qui ait exprimé avec autant de tranquille émotion que Corot et Camille PISSARRO la vérité secrète de la nature. Millet volontiers dramatise, Rousseau, Dupré, Decamps se plaisent parfois un peu aux effets de théâtre, Troyon a souvent le tort de chercher la grandeur dans le colossal. Plus on réfléchit, plus il semble que c’est bien Corot qui, de tous les artistes de 1830, nous a le plus fidèlement décrit le simple et radieux poème des champs. Et, parmi les contemporains, Camille PISSARRO est peut-être celui qui sut le mieux en traduire l’intime et sereine vérité.

Ils appartiennent à des générations différentes ; ils vécurent dans une atmosphère d’art où les préoccupations et les tendances sont loin d’être pareilles : pourtant tous deux, malgré leur vision si distincte et les dissemblances de leur technique, exprimèrent, avec la même attendrissante et candide sincérité les secrets enchantements de la campagne.

Enhardi par la vigoureuse audace d’un Courbet, par la franchise d’un Manet qui bouleversa son époque par la crânerie de sa peinture ton sur ton, profitant aussi des magnifiques leçons de l’Anglais Türner qui, après le grand ancêtre Claude Lorrain, après Constable et Bonington, passionna certains jeunes peintres français pour l’étude des plus subtils enveloppements lumineux et des splendeurs nuancées de l’atmosphère, Camille PISSARRO, en même temps que ses camarades de l’Impressionnisme, se distingua de Corot et de ses aînés de 1830 par une recherche plus libre des attitudes de l’homme, de la souple mobilité des bêtes et de toutes les changeantes féeries solaires. Sous des éclairages encore inobservés, mais d’un faste harmonieux et de la plus scrupuleuse justesse, il représente certains gestes du labeur humain, des mouvements de laboureurs, de sarcleuses, de bergères, que l’on n’avait pas encore étudiés ou rendus. Et c’est le plus tranquillement du monde que, pendant un demi-siècle, il donna le spectacle de cette hardiesse jamais lasse, sans se départir de cette gràce, de cette douceur, de ces harmonies sereines et délicates qui valent à son œuvre un charme si émouvant.

Et quelle variété dans cette œuvre riche ! Il n’en est pas de plus complète. Elle exprime le travail de paysan en même temps que son existence recluse sous le quinquet et devant l’âtre des fermes, la vie profonde de la glèbe dans la joie, la mélancolie ou la rigueur des diverses saisons, et le pittoresque remue-ménage des bourgs dans le brouhaha de leurs marchés grouillants, la grâce des printemps fleuris sous des ciels de fête et la fourmilière humaine sur l’asphalte luisant des grandes cités tumultueuses, la paix des abreuvoirs et, sous la retombée des branches, les rides des nappes d’eau où voguent les flotilles de canards, la beauté des vastes fleuves aux courbes harmonieuses, aux reflets chatoyants, et le silence de la nature engourdie sous la couche profonde des neiges aux subtiles ombres bleues.

Il peut sembler que sur ce thème en apparence monotone de la vie des champs et du travail agreste, avec ce parti-pris surtout de vérité simple, les variations ne soient guère nombreuses. C’est au contraire un art qui se renouvelle aussi prestement que la nature elle-même. Les heures et les saisons se succèdent avec la plus charmante diversité. Le labeur de l’homme offre sans cesse des aspects nouveaux. C’est un poème de grâce et de vérité qui change à tout moment.

Peut-être avec la douceur sereine, avec le sens de l’intimité et du recueillement dans les paysages, avec sa science des harmonies les plus délicates, avec le velouté chatoyant de ses bleus et le charme comme acide de ses verdures, est-ce cette diversité de thèmes et d’émotions qui caractérise le mieux Camille PISSARRO.

D’autres ont peint magnifiquement les grands aspects de la nature, vastes horizons de montagnes et de mer, falaises surplombant le vide, palais de féerie au bord des fleuves, ou figures se silhouettant sur de lumineux et lointains paysages. Plus à l’étroit, avec un goût très vif de l’intimité et de la quiétude, Camille PISSARRO a peint, dans son charme pittoresque, toute la vie monotone et pourtant si variée, des champs, de la ferme et des bourgs.

Ce vieux maître de l’Impressionnisme, M. Eugène BLOT s’est fait un honneur de le vouloir montrer dans sa galerie sous les aspects les plus divers de son haut talent.

Exhumés des collections les plus précieuses et les plus secrètes, certaines toiles, qu’on n’a vue nulle part depuis trente ans, feront mieux aimer la poésie simple et calme, la libre vérité, la joie limpide et sereine de cette œuvre dont, malgré toute l’admiration qui le salue, la plupart des hommes d’aujourd’hui sont loin d’apercevoir la réelle importance et toute la splendeur.

Si fêtée qu’elle soit, elle n’a pas encore trouvé la justice qui lui est dûe. Mais les temps sont proches où, dans l’équité de l’histoire, Camille PISSARRO recevra les mêmes hommages que Corot, car, bien que très différents l’un de l’autre par la vision, les tendances et les moyens plastiques, ils eurent tous deux le même sentiment doux et recueilli des grâces intimes de la nature et en exprimèrent avec une égale quiétude la poésie simple et mystérieuse.

Associons-nous de tout cœur aux efforts qui peuvent hâter l’heure de cette pleine et tardive justice.

Georges LECOMTE."

"Preface", Georges Lecomte
"CATALOGUE", cat. no. 1-19
"GOUACHES",cat. no. 20-26
"PASTEL", cat. no. 27