Collection de M. Albert Bernier

Commissaire-Priseur:
Me Louis Garnaud
Me F. Lair Dubreuil

Experts:
J. & G. Bernheim Jeune

"exposition" : tue 22/11, 2pm - 6pm "vente aux enchères publiques" : wed 23/11, 2:30 pm

Nr. of pages: 41 [PDF page number: 89].
Holding Institution: online: Gallica - Bibliothèque nationale de France, Paris

Vauxcelles, Louis : [no title], 5 p.

"« Dis-moi qui tu hantes, je te dirai qui tu es. » Je pense qu'on peut, à la lumière de ce dicton populaire, comprendre l'âme du collectionneur, j'entends du vrai collectionneur, celui qui a réuni avec un patient amour dans son logis les œuvres de quelques artistes d'élection. Il est bien évident que la sensibilité n'est pas la même d'un homme qui accroche aux murs de son salon des Gérôme ou des Abel de Pujol (si tant est que puisse se rencontrer un tel homme) et de celui qui s'entoure de Rodin, de Renoir, de Cézanne et de Van Gogh.
Est-il besoin d'ajouter à qui des deux va notre sympathie ?
Et voilà pourquoi, sans que je connusse encore M. Albert Bernier, et dès que l'on me fit savoir les noms des coloristes qu'il avait groupés, je me sentis en communion de sentiment avec un amateur aussi délicat, et tout heureux d'écrire quelques lignes en guise de préface au présent, catalogue.
Ces toiles de Renoir, de Bonnard, de Vuillard, de Roussel, de Denis, M. Bernier s'en sépare à regret. Je crois qu'il répéterait volontiers le mot de Mazarin, regardant avec mélancolie ses peintures, ses marbres, ses tapisseries, ses cabinets d'ébène, d'ivoire et d'écaillé : « Il va donc falloir quitter tout cela ! » [n. p.]
Charles Péguy aime à dire qu'il y a deux sortes d'êtres : le mystique et le politicien ; le mystique tout à son rêve, le politicien escomptant les avantages positifs de ses actes et de ses paroles. Certains collectionneurs sont des mystiques, qui se donnent la pure joie de rechercher les beaux artistes révolutionnaires (les révolutionnaires d'aujourd'hui sont les classiques de demain) ; d'autres — les collectionneurs-politiciens — spéculent, supputent, jouent à la Bourse des valeurs... Et chacun sait que les valeurs sont plus justes chez Corot que chez Meissonier.
M. Bernier, ayant eu le courage et le goût de s'adresser à des peintres rares, sera pleinement récompensé de son méritoire effort. Ces maîtres qu'il a aimés, à un moment où le public les méconnaissait quand il ne s'en gaussait pas — voici aujourd'hui qu'ils apparaissent victorieux, et que la foule moutonnière s'incline devant leur talent robuste ou nuancé.
Vuillard, Denis, Roussel, Bonnard, pour ne parler que de ceux-là, de qui figurent en cette collection des œuvres de haute qualité, sont désormais des auteurs classés ; ils ont recueilli l'héritage de gloire des impressionnistes, définitivement entrés dans l'histoire de l'art moderne, ils sont les peintres aimés de l'élite ; les galeries les plus hermétiques se disputent leurs ouvrages. Et les musées de l'avenir les hospitaliseront équitablement.
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Je me garderai bien d'analyser le talent des peintres chers à M. Bernier. Des critiques comme Théodore Duret, Roger Marx, Mirbeau, Geffroy, Thadée Natanson, Fénéon ont suffi à cette tâche. Je risquerais de retarder en expli- [n.p.]
quant pourquoi Renoir est immortel. La cause est entendue et la bataille gagnée. Permettez cependant que nous nous arrêtions devant les perles de la collection Bernier.
Voici un portrait de Goya. Jamais le peintre aragonais ne fit preuve de plus de lucide pénétration. Il a lu son modèle et l'a recréé. Est-ce un politique, un diplomate, un courtisan ? Je ne sais. Mais l'effigie est profonde et vit avec force sous nos yeux. Les réalistes espagnols du XVIe et même du XVIIe siècle étaient d'âpres catholiques se délectant, en virtuoses de la mort, aux spectacles sombres et terribles, aux scènes d'agonie. Goya, lui, regarde la vie, passionnément, et la jette sur sa toile.
Voici des modernes, et des Français: Cals, Monticelli, joaillier féerique; Pissarro et ses vergers; Gauguin, Manet, Jongkind; Caillebotte le généreux ; Carrière le psychologue.
Voici Renoir. M. Bernier avait choisi de lui une adorable « Fille en corset » que l'on va se disputer. C'est un hymne de joie et de jeunesse ; l'exécution est lisse à la fois et onctueuse, du kaolin qui serait de la chair. On souhaiterait caresser cette fille, en tout bien tout honneur, uniquement pour la beauté picturale du morceau, de même que les amateurs de faïences persanes aiment a palper la panse d'un pichet ou les rondeurs d'une buire.

Avec Renoir, les préférés de M. Bernier sont Maurice Denis, Roussel, Vuillard et Bonnard.
La grande « Plage » rose et bleue, de Maurice Denis est un de ses meilleurs ouvrages. Tous les dons de ce jeune maître y fleurissent aimablement, gaucherie exquise et désir élevé de perfection, science consommée et bienheureuse naïveté, souci d'idéaliser et besoin de s'attacher à la nature, sensualité et chasteté. Et ces diverses antinomies s'intègrent [n.p.]
merveilleusement et se concilient dans l'art de Maurice Denis. Nul n'est plus de notre temps que ce primitif, petit-fils des giottesques et filleul de Cézanne. Le rythme de la composition, l'architecture des plans, la vénusté et la plénitude des formes, le candide naturel des gestes, la suavité des expressions, la séduction du coloris, tout concourt ici à conférer au spectateur une joie fine et pure, à le persuader, à le rassurer. L'éloquence de Maurice Denis est bienfaisante. Il se souvient du précepte d’Ingres : « La belle forme, ce sont des plans droits avec des rondeurs. »
Près de ce poète, voici un autre poète et un autre musicien, Roussel. Il suggère plutôt qu'il ne décrit. Ses rêves antiques ne sont pas ceux d'un parnassien ; il évoque les clairières sereines où les chèvre-pieds guettent les nymphes rieuses, où dansent les faunes râblés et les pervers satyreaux, où s'ébat et titube le bon Silène. Théocrite, Virgile, Corot sont ses dieux, et cette antiquité n'est jamais livresque, mais sent la nature, qui est la même en Hellade ou à Ville d'Avray, avec Corot ; dans les bosquets agrigentins ou les bois de l'Etang-la-Ville, avec Roussel.
Vuillard nous ramène des forêts grecques aux intérieurs parisiens, et du paganisme à l'intimisme. Intérieurs bourgeois, humbles ou fastueux, son génie perceptif sait tout capter, tout aimer, tout traduire ; il ne détache pas la créature du cadre et du décor où elle se meut, mais l'envisage et la restitue comme une partie d'un tout, comme une fleur d'un bouquet, comme une des voix de l'orchestre. Tentures murales, soieries, lainages, visages, anémones, meubles et gens, robes et femmes, sourires et parfums, tout cela est vu avec une égale affection, qui n'est indifférente à rien. C'est précieux et pourtant simple, raffiné et savoureux, indiqué et fini.
Quant à Bonnard, faut-il opposer l'ingénuité de son [n. p.]
humour, la spontanéité de son instinct et de sa sensibilité à la sérénité de Roussel ou à la raison de Maurice Denis ? Non pas. Ces peintres sont d'accord, en art comme dans la vie. La vérité est une et multiple.
Et M. Bernier doit être félicité d'être allé droit à ceux-là, plutôt qu'à d'autres, virtuoses insincères dont nous oublions déjà les noms.
Dirai-je enfin l'éblouissement lyrique de Cross, que la mort vient d'emporter, mais de qui l'œuvre demeure ; la grâce de Charles Guérin, qui peignit des promeneuses parées de divertissantes jupes évasées, empesées de crinolines, jupes vertes et vieux rose, aux « coruscations de corolles » selon le dire de Marius-Ary Leblond.
Je ne cite que pour mémoire les Ranson, les Wilder, les Diriks, d'Espagnat, Laprade, Dufrenoy, Camoin, Manzana, Lucie Cousturier, Picasso, Lemmen, etc., que vous verrez encore ici. J'ai tenu à signaler l'essentiel, assuré que les amateurs s'inspireront, en leurs choix, du goût sûr et délicat qui a formé cette brillante collection.

LOUIS VAUXCELLES. " [n. p.]

"Conditions de la vente", 1 p.
Preface, 5 p.
"Tableaux", cat. no. 1-58, p. 13-41

- "Le Vente aux enchères publiques aura lieu, à Paris [...] le mercredi 23 novembre 1910, à 2 heures 1/2.", titel page
- "Exposition : Le mardi 22 novembre 1910, de 2 heures à 6 heures.", titel page
- "Les tableaux numérotés 1, 8, 12, 14, 15, 19, 20, 22, 29, 30, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 54, 55, 56, 57 constituent la collection de M. Albert Bernier.
Les autres appartiennent à divers amateurs.", n. p.
- "Conditions de la vente : Elle sera faite au comptant. Les acquéreurs paieront dix pour cent en sus des enchères", n. p.
- Biographical dates of artists provided in catalogue.
- Work descriptions are provided in catalogue